Fleur de lys...ou fleur d'iris?

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Extrait du livre © L'Aventure des plantes de Jean Pierre CUNY, aux éditions FIXOT (juin 1987).

Clovis était en marche avec son armée, pour affronter les Wisigoths. C'était près de Châtellerault. Il devait traverser une rivière, la Vienne, qui semblait peu profonde. Une biche effrayée par le charivari sortit de la forêt et traversa la rivière. Elle connaissait un gué. Là où elle avait traversé, il y avait des iris jaunes. C'était l'iris des marais, ou du bord des rivières. Clovis en cueillit une fleur et s 'écria "C'est bon signe, cette fleur nous portera bonheur!"
Il y croyait d'autant plus que du temps des Romains, lequel n'était pas encore loin, l'iris des marais avait mâle réputation. On l'appelait Gladiolus paludensis (le glaïeul des marais), le mot lui-même venant de gladius, glaive, à cause de la forme et de la consistance des feuilles des glaïeuls et d'iris: semblables à des épées. En outre, on croyait ses rhizomes aprodisiaques: c'était le ginseng des Romains.
Lors, ayant franchi le gué - qui paraît-il existe toujours et s'appelle "le gué de la biche - Clovis remporta le lendemain, sur les Wisigoths, une victoire restée mémorable, sous le nom de bataille de Vouillé.
C'était en 507. Vouillé n'est pas loin de Poitiers. Même le roi des Wisigoths, Alaric II, y fut trucidé. C'est ainsi que Clovis conquit le royaume de Toulouse et une grande partie de l'Espagne, et qu'il déclara l'iris des marais "fleur de la victoire". Il en fit coudre, sur ses vêtements, des représentations stylisées, qui devinrent le symbole de la royauté.
Mais alors, pourquoi dit-on qu'il s'agit de la fleur de lys? Parce que six siècles plus tard, le roi de France Louis VII, partant pour une croisade, aurait arboré une fleur d'iris des marais sur son casque. Et cette fleur serait devenue la "Fleur de Luce", c'est à dire de Louis, déformée plus tard en "fleur de lys".
La croisade fut un fiasco. Louis VII l'avait entreprise pour expier le fait d'avoir brûlé 1300 personnes dans l'église de Vitry, en France. Et, pour couronner le tout, il eut la géniale idée de répudier Eléonor d'Aquitaine, laquelle s'empressa d'épouser le roi d'Angleterre, ce qui nous valut la Guerre de Cent Ans.
De toutes façon, la fleur d'iris figure sur les armoiries des premiers Capétiens, bien avant Louis VII. Sur un sceau conservé aux Archives Nationales, on la voit dans la main droite et sur la couronne de Robert le Pieux, associé au trône de France dès son adolescence, en 987, par son papa Hugues Capet qui l'en jugeait capable.
Autre chose. Edouard Pognon, qui n'est pas botaniste, mais chartiste, et conservateur aux Archives Nationales, affirme qu'il s'agit...de la francisque stylisée: au lieu d'avoir, de chaque côté, des tranchants de hache, comme sur les minables pièes de un franc en aluminium du temps de Pétain, elle aurait les crochets rabattus vers le bas.
Les deux thèses ne sont d'ailleurs pas incompatibles: Clovis aurait très bien pu voir en outre, dans la forme de la fleur d'iris, un rappel de la francisque. En tout cas, l'iris des marais est bien l'emblème des rois de France, et non le lys.
Une autre preuve en est que l'iris des marais fut amené au Canada, pour cette raison, par les premiers émigrés français; ce qu'admettent, sans discuter, les botanistes anglais. Reste à dire que cet iris jaune a été appelé par Linné Iris Pseudoacorus, ou "faux acore". Parce que les anciens botanistes l'avaient confondu avec l'Akoros des Grecs (de Kore, prunelle: ils croyaient que son rhizome guérissait les yeux). L'Akoros est lui aussi une plante des marais, mais différente: le roseau aromatique, amené d'Inde par les Mongols, et dont le rhizome sert à fabriquer un alcool: la liqueur de Dantzig.
Tout le monde ayant emboité le pas, les anglais appellent l'iris des marais Bastard Acorus, les Italiens Acoro Falso, etc. Ce faux lys est donc aussi un faux roseau.
Il serait temps de dire qu'Iris était, pour les Grecs, la déesse de l'arc-en-ciel: c'était un pont qu'elle avait jeté entre les hommes et les dieux, parce qu'elle faisait sans arrêt l'intermédiaire entre eux, et qu'elle en avait assez de traverser la pluie.
Du gué de Clovis au pont après l'orage, l'iris est décidément un passeur... Et il est vrai qu'il y a des iris de toutes les couleurs. Si celui que vous apercevez dans la nature est jaune, comme l'iris des marais, mais avec des pétales plus étroits et panachés de violet, vous êtes tombé sur l'Iris Foetidissima, ainsi appelé, très injustement, parce que ses feuilles froissées sentent le gigot à l'ail selon les uns, le jambon fumé selon les autres. C'est sans doute pourquoi il est devenu rarissime.

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