Les jussies
Oenotheres aquatiques, onagres d'eau,
jussies, ludwigies.
Extrait du livre © Eloge des vagabondes (*) de Gilles Clément , aux éditions NIL ( mai 2002 ):
(Au sujet des essais d'éradication de la jussie dans le sud de
la France avec le Glypgosate) [...] En réalité, la jussie gêne l'entretien
des canaux de draînage des digues du Rhône et de la Durance, région de France où cette
plante, originaire du Pérou, de Caroline et de l'Urugay, apparut vers le fin du XIXème
siècle. De l'aveu même des observateurs du Rhône, les méthodes d'entretien des canaux
favorisent la colonisation rapide de l'espèce. Un linéaire de berge à jussie de 5 200
mètres en 1994 devient 4 km en 1997.
Pour cause d'envahissement on choisit la stérilisation plutôt que le jardinage. Remettre
en question les modes gestionnaires ne présente aucun intérêt pour les firmes de la
pétrochimie: la biodiversité peut servir d'alibi à n'importe quel procédé autoritaire
et s'en trouver directement bafouée.
Trahison banale et répandue (Quand on veut tuer son chien...). Comment en est-on arrivé
là?
Les deux espèces de jussies vivant en France s'implantent vers 1850, époque fertile en
introductions diverses. Pour certains, il s'agit d'une importation volontaire,
l'oenothère aquatique présente une belle floraison jaune vif au dessus de l'eau, son
milieu d'élection; pour d'autres les plantes d'Amérique auraient migré clandestinement
à la faveur des échanges liant les continents. La première hypothèse coïncide avec la
vague d'exotisme de l'époque; elle paraît vraisemblable. Parmi les listes des
pépinières spécialisées on peut relever le nom de jussies commercialisées aux côtés
d'autres plantes aquatiques. L'eau est un puissant vecteur de dissémination. La jussie
fragmentée par faucardage des rives, puis véhiculée, s'implante au loin grâce à une
rhizogenèse active. Chaque fragment émet aussitôt des racines. La plante se bouture
seule. Toute action mécanique dirigée contre elle conduit à sa multiplication. Son
développement végétatif lui permet de couvrir une surface d'eau sur quelques mètres en
une seule saison. Cependant, elle résiste à plusieurs semaines de sécheresse sous forme
prostrée et tolère plus de 10 grammes de sel par litre. Ce qui la prédispose à gagner
le terrain très spécifique des halophytes. Enfin, la
pollution générale des eaux - augmentation des taux de nitrates et de phosphates - lui
est profitable, s'agissant d'une plante nitrophile, plutôt "gourmande".
[...] On observe la prolifération de la jussie depuis seulement vingt ans. Cela coïncide
avec le développement des pratiques agricoles intensives. [...] La prolifération de la
plante vient d'une activité humaine incohérente. Ajouter à cette attitude irresponsable
une lutte mécanique ou chimique tous azimuts aggrave la situation sans apporter de
solution locale satisfaisante.
L'article de Libération, au titre extravagant (Alerte aux envahisseurs venus
de la biosphère) met la jussie en vedette à propos de l'histoire évolutive d'un
site landais. En 1863 on assèche le marais d'Orx pour y cultiver du maïs. Autrement dit
on détruit la biodiversité en place pour y installer une monoculture. Personne ne s'en
plaint, la mode n'est pas à la "protection des milieux humides". Mais
l'électricité nécessaire au pompage finit par coûter cher. On abandonne et l'eau
revient avec son cortège floristique auquel se joint Ludwigia grandiflora,
passant de quelques mètres carrés en 1993 à 130 hectares en 1998. Peu de choses en
comparaison des cultures de maïs sur le marais asséché, plusieurs milliers d'hectares.
Mais on crie à l'envahissement.
Si, en tournant la tête d'un marais à l'autre on voit d'un côté un tapis de jussies
jaunes et de l'autre l'horizon infini des fanes de maïs, on se demande qui envahit quoi.
[...]
En Australie, on signale la sous-espèce montevidensis de Ludwigia peploides dans
le Queensland, sans véritable émotion, quoique suspectée d'empoisonner le bétail. Sans
doute allusion aux saponines toxiques contenues dans la plante.
La plante fut d'abord dédiée à Bernard de Jussieu (1699-1777) puis les savant
décidèrent d'honorer Christian Ludwig, professeur à Leipzig, son contemporain
(1709-1773). [...]
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